Durant le premier semestre 2023, la Région de Bruxelles Capitale est intervenue à deux reprises en modifiant le Code bruxellois du Logement par son ordonnance du 22 juin 2023[1] qui vise à réduire le nombre d’expulsions et à protéger le logement du locataire en période hivernale, qui est entrée en vigueur le 31 août 2023 (I.) et son projet d’ordonnance du 22 juin 2023[2] relative à la création d’un droit de préférence pour les locataires d’un logement mis en vente, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024. (II.).
- L’ordonnance du 22 juin 2023insérant dans le Code bruxellois du logement les règles de procédure applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du fonds budgétaire de solidarité.
Le Parlement Bruxellois a, lors de sa séance plénière du 16 juin 2023, (i) adopté des modifications complexifiant et allongeant sensiblement la procédure d’expulsion de logement et a (ii) instauré un moratoire hivernal du 1er novembre au 15 mars pour les expulsions.
L’ordonnance s’applique aux baux d’habitation et à certains baux commerciaux, à savoir ceux portant sur un bien qui constitue également une habitation pour le locataire.
Cette ordonnance a été publiée le 21 aout 2023 au Moniteur belge et entrera en vigueur le dixième jour suivant sa date de publication, soit le 31 aout 2023.
- Les principales modifications à la procédure d’expulsion de logement
Préalablement à toute action judiciaire, le bailleur devra envoyer à son locataire au minimum un mois avant le dépôt de sa requête[3], une mise en demeure contenant au minimum ses coordonnées, une description claire des montants réclamés, une mention qu’en cas d’absence de réaction, une procédure judiciaire pourra être introduite, une mention en cas de recouvrement amiable[4] et le délai dans lequel la créance peut être remboursée avant la prise de mesures complémentaires, délai qui ne peut pas être inférieur à un mois[5].
Le Bailleur devra privilégier la requête à la citation pour toute action judiciaire qu’il souhaitera introduire[6]. A peine de nullité, le bailleur mentionnera dans son acte introductif la date, les coordonnées du requérant/ du bailleur et du locataire, l’objet et les moyens de la demande, un certificat de domicile du locataire et copie de la mise en demeure préalable[7].
Si le bailleur opte pour la citation, les frais liés à celle-ci seront à sa charge à l’exception de la citation signifiée au parquet lorsque le défendeur n’est pas inscrit dans les registres de la population[8].
Si la requête comporte une demande d’expulsion, l’audience d’introduction ne sera pas fixée avant l’écoulement d’un délai de 40 jours (contre 8 précédemment !) à dater du dépôt de la requête au greffe. Ce délai a été allongé afin de permettre au CPAS de mener une enquête sociale.
Lors de cette audience d’introduction, le juge privilégiera la conciliation entre les parties avant d’envisager des débats ou un calendrier de mise en état[9].
En cas de demande formulée après l’introduction de la procédure, par voie de conclusions, les délais d’échange des conclusions sont suspendus et une audience est prévue au moins 40 jours après le dépôt des conclusions.
Le rôle que le CPAS est appelé à jouer dans cette procédure a été renforcé vu qu’à dater de l’entrée en vigueur de cette ordonnance, les actes décisionnels et les avis d’expulsion devront être transmis au CPAS de la commune où se situe le logement[10]. Ce dernier peut également contacter d’initiative le locataire au stade du dépôt de la requête, de la signification du jugement et/ou le cas échéant, au stade de l’avis d’expulsion.
Si une date d’expulsion est finalement fixée, celle-ci sera ajournée ou annulée si le locataire a une preuve d’une solution de relogement dans un délai d’un mois à dater de l’avis d’expulsion.
Si aucune expulsion ne peut avoir lieu avant l’écoulement du délai d’un mois après la signification du jugement[11] (statu quo), le juge pourra en outre décider de prolonger ce délai moyennant l’octroi d’une indemnité d’occupation journalière (et plus mensuelle) au bailleur[12]. Dans ce cas, et contrairement à ce qui est prévu pour les expulsions différées par le moratoire hivernal (voir le point suivant), le propriétaire ne peut prétendre à une indemnité à charge de la Région. De plus, le locataire sera dorénavant prévenu 15 jours (contre 5 précédemment) avant son expulsion par l’huissier de justice[13].
Ci-dessous un tableau extrait des travaux préparatoires de l’ordonnance, synthétisant la procédure d’expulsion :
- Le moratoire hivernal
Cette ordonnance instaure un moratoire hivernal qui interdit d’exécuter une expulsion d’un logement ayant fait l’objet d’un bail d’habitation du 1er novembre au 15 mars de l’année suivante[14].
Quelques dérogations strictes ont été prévues à cette interdiction dont notamment la solution de relogement du locataire, l’état de salubrité du logement, le comportement du locataire ou encore lorsque le bailleur se retrouve dans une situation de force majeure lui imposant d’occuper le logement à titre personnel[15]. Le tribunal statue sur une de ces dérogations au moratoire hivernal dans la décision autorisant ou refusant l’expulsion.
Pendant la période du moratoire, l’indemnité d’occupation fixée par le juge reste due. En cas de défaut de paiement, le bailleur peut présenter sa créance au Fonds budgétaire régional de solidarité. A noter que les opérateurs immobiliers publics et les AIS à finalité sociale ne sont pas éligibles à l’indemnité précitée.
Le fond budgétaire régional de solidarité précité [16] sera notamment saisi des demandes d’intervention consécutives à la créance d’un ancien bailleur portant sur tout ou partie de son indemnité d’occupation non perçue[17].
Nos premières réflexions :
Si ces modifications améliorent fortement la position du locataire menacé d’expulsions en favorisant l’information pendant la procédure et en allongeant les délais, le bailleur devra, quant à lui supporter une procédure d’au minimum 6 mois avant la libération de son bien et verra donc le plus souvent son arriéré de loyers augmenter considérablement par le rallongement des délais de procédure. La pratique montre que les loyers sont souvent définitivement perdus suite à l’insolvabilité des locataires.
Sans augmentation des moyens des CPAS, rien ne dit qu’ils pourront assumer ce nouveau rôle souhaité par le législateur bruxellois, qui ne modifie d’ailleurs pas (faute de compétence pour le faire) les missions des CPAS. La pratique révèlera si l’objectif de lutte contre le sans-abrisme est atteint par les mesures.
Par ailleurs, le rôle (et donc la charge administrative) du greffe qui doit transmettre toutes les demandes d’expulsion au CPAS est accru. La question se pose de savoir comment et dans quels délais les tribunaux géreront les demandes d’expulsion qui ne sont pas formulées dans une requête mais dans des conclusions en cours de procédure.
Surtout, le Conseil d’Etat a relevé dans son avis du 1er février 2023[18] une discrimination entre les propriétaires et une atteinte disproportionnée au droit de propriété. A cet égard, le Conseil d’Etat soutient que « dans la mesure où l’article 233duodecies en projet prévoit une interdiction des expulsions au cours de la période comprise entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, le régime en projet ne ménage pas un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts du locataire d’un bien immeuble dont l’expulsion est suspendu et, d’autre part, les intérêts du propriétaire-bailleur, de sorte que cette mesure constitue une restriction excessive au droit au respect des biens du second. »[19] L’on peut donc s’attendre à des recours en annulation ou préjudiciels devant la Cour constitutionnelle.
- Le projet d’ordonnance du 22 juin 2023 portant modification du Code bruxellois du Logement en vue de mettre en place un droit de préférence pour les locataires d’un logement mis en vente
Lors de sa séance plénière du 19 septembre 2023, le Parlement bruxellois a approuvé ce projet d’ordonnance qui devrait donc être publié prochainement au Moniteur Belge et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024.
Le bail étant devenu une compétence régionale depuis la sixième réforme de l’Etat, le gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale prend des mesures afin d’assurer de manière plus effective le droit au logement dont notamment la mise en place d’un droit de préférence pour les locataires du logement mis en vente[20].
Ce droit estoctroyé au preneur d’un bail de résidence principale de longue durée[21]. Cela exclut donc les baux de courte durée, de sous location ou de logement étudiant[22]. Il est impératif de pouvoir identifier une volonté d’établissement plus longue et ce, à condition de s’y domicilier.
Certains biens sont exclus du champ d’application du projet d’ordonnance dont notamment le vente[23] :
- les immeubles à logements multiples occupés par différents locataires, en cas de vente de la totalité de l’immeuble (mais rien n’est expressément prévu pour la vente d’un étage contenant trois appartements loués à trois locataires différents dans un immeuble plus grand) ;
- entre conjoints ou cohabitants légaux ;
- de logements meublés
- de nue-propriété
- d’un bien frappé par un arrêté d’inhabitabilité ;
- les biens ayant fait l’objet d’une promesse de vente avec date certaine antérieure à la conclusion du bail.
- …
Concernant la procédure, décrite de manière complexe et détaillée (la description qui suit est résumée et simplifiée), préalablement à toute vente d’un bien mis en location, le bailleur doit informer le preneur par voie recommandée avec accusé de réception, de son intention de vendre et au droit de préférence qu’il dispose. Cette notification vaut offre de vente[24].
Cette déclaration d’intention de vendre doit mentionner au minimum l’identité et le domicile du bailleur, l’adresse et la description du logement visé, le prix, les conditions de vente et le cas échéant, les droits réels grevant le bien[25].
Le locataire a ensuite 30 jours, à dater de la réception de ladite notification, pour exercer ou renoncer à exercer son droit de préférence.
La réalisation d’une vente en violation du droit de préférence du preneur ouvre le droit à une action en subrogation qu’il peut intenter contre l’acquéreur[26] et lorsqu’il ne souhaite pas être subrogé dans les droits de l’acquéreur, de solliciter une indemnité auprès du bailleur correspondant à 20% du prix de vente[27].
Premières réflexions
Ce nouveau dispositif va entraîner de nouvelles lourdes obligations pour les propriétaires vendeurs ainsi que pour les notaires et les agents immobiliers dont notamment pour ces derniers, l’obligation d’information du prix et des conditions de vente au locataire si le bailleur reste en défaut de le faire. Ces formalités et obligations allongeront encore les délais de vente des biens immobiliers en Région bruxelloise.
Par ailleurs il n’est pas certain que cette ordonnance atteigne l’objectif du législateur qui est de favoriser le droit au logement. On peut raisonnablement penser qu’un bailleur qui vend son bien aura naturellement tendance à le proposer à son locataire pour gagner du temps et éviter des frais supplémentaires.
Ce droit de préférence risque de créer un nouveau contentieux judiciaire entre bailleurs et preneurs vu la complexité du régime mis en place. A titre d’exemple, l’absence de réponse du locataire dans les 30 jours vaut renonciation à l’exercice de son droit de préférence, sauf cas de force majeure, ce qui pourra surprendre des parties qui, de bonne foi, pensaient que le délai était expiré…
Vous pouvez adresser vos commentaires ou questions à Laurent Delmotte, Bart Van Hyfte ou Olivier Vandingenen
[1] Ordonnance du 22 juin 2023 insérant dans le Code bruxellois du Logement les règles de procédure applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du Fonds budgétaire de solidarité.
[2] Projet d’ordonnance du 22 juin 2023 portant modification du Code bruxellois du Logement en vue de mettre en place un droit de préférence pour les locataires d’un logement mis en vente
[3] Art. 4 insérant le nouvel article 233quater, §1er du Code bruxellois du logement
[4] Art. 4 insérant le nouvel article 233quater, §2 du Code bruxellois du logement
[5] Art. 4 insérant le nouvel article 233quater, §3 du Code bruxellois du logement
[6] Art. 4 insérant le nouvel article 233quinquies, §1er du Code bruxellois du logement
[7] Art. 4 insérant le nouvel article 233quinquies, §3 du Code bruxellois du logement
[8] Art. 4 insérant le nouvel article 233quinquies, §2 du Code bruxellois du logement
[9] Art. 4 insérant le nouvel article 233octies, du Code bruxellois du logement
[10] Art. 4 insérant le nouvel article 233septies et 233decies, du Code bruxellois du logement
[11] Art. 4 insérant le nouvel article 233undecies, §1er du Code bruxellois du logement
[12] Art. 4 insérant le nouvel article 233undecies, §1er, 3° du Code bruxellois du logement
[13] Art. 4 insérant le nouvel article 233undecies, §2 du Code bruxellois du logement
[14] Art. 4 insérant le nouvel article 233duodecies, §1er du Code bruxellois du logement
[15] Art. 4 insérant le nouvel article 233duodecies, §1ER, 1° à 4° du Code bruxellois du logement
[16] Article 3, §3, 3ème tiret.
[17] Article 4 insérant un nouvel article 233duodecies, §3, 2° du Code bruxellois du logement
[18] Avis 72.557/3 du 1er février 2023 de la Section législation du Conseil d’Etat sur un avant-projet d’ordonnance insérant dans le Code bruxellois du logement les règles de procédures applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du fonds budgétaire de solidarité.
[19] Avis 72.557/3 du 1er février 2023 de la Section législation du Conseil d’Etat, ibidem., p.32.
[20] Plan d’Urgence Logement (PUL) 2020-2024 du Gouvernement de la Région Bruxelles-Capitale.
[21] Article 2 insérant un nouvel article 247/1, §1 du Code bruxellois du logement
[22] Article 2 insérant un nouvel article 247/1, §2 du Code bruxellois du logement
[23] Article 2 insérant un nouvel article 247/1, §3 du Code bruxellois du logement
[24] Article 2 insérant un nouvel article 247/2, §1 du Code bruxellois du logement
[25] Article 2 insérant un nouvel article 247/2, §2 du Code bruxellois du logement
[26] Article 2 insérant un nouvel article 247/3, §1 du Code bruxellois du logement
[27] Article 2 insérant un nouvel article 247/3, §2 du Code bruxellois du logement